Emmanuelle, Corrèze

Voici la lettre ouverte d’Emmanuelle aux élus de France : pour la liberté d’instruction.

Je vous écris, encore sous le choc de l’annonce faite par le Président de la République vendredi 2 octobre, concernant son projet d’interdire l’instruction en famille à compter de la rentrée 2021.

Lorsque j’avais une dizaine d’années, j’ai lu une phrase qui m’a marquée : « Tout homme a deux patries : la sienne, et la France. ». Pour moi, la France, c’est ça : le pays des droits de l’homme, le pays de la Liberté, le pays qui accueille tous ceux qui sont persécutés chez eux au nom de leur différence (qu’elle soit politique, philosophique, religieuse ou ethnique), et qui leur permet de vivre libres, debout, fiers de leurs particularités. Une société qui s’enrichit de ces différences au lieu de les combattre. Une société dans laquelle chaque citoyen se bat pour que son voisin soit libre de vivre selon ses choix philosophiques, même s’ils sont différents des siens.

Au fronton de nos mairies, les mots « Liberté », « Egalité », « Fraternité » sont inscrits en lettres capitales. Je suis fière de cette devise, fière de la France, fière d’être Française. Le serai-je toujours dans quelques mois, si cette loi liberticide est votée ? Devrons-nous effacer au burin le premier, et non le moindre, de ces mots emblématiques de notre société ?

Parents de 7 enfants, nos 2 aînés ont fait leur scolarité entière à l’école et 4 sont actuellement instruits à la maison. Cela ne nous empêche pas d’être de bons citoyens : nous sommes intégrés socialement dans notre commune, nos enfants pratiquent les activités sportive et culturelles de diverses associations, nous nous soumettons de bonne grâce chaque année aux contrôles de l’académie qui ont toujours été favorables à notre poursuite de l’enseignement à domicile, nous sommes ouverts aux suggestions des inspecteurs, nous votons, nous payons des impôts, et il va sans dire que nous n’avons jamais été les sujets de troubles à l’ordre public… J’ai servi sous les drapeaux pendant 17 ans et mon mari 10 ans. Ce dernier travaille aujourd’hui encore avec les mairies et écoles du secteur dans le cadre de son activité professionnelle (informatique).

Nos enfants non scolarisés ont une vie sociale très riche : ils côtoient des enfants de tous âges, scolarisés ou non, mais aussi des adultes de notre entourage, actifs ou retraités, issus de tout milieu social. Pour eux, l’âge n’est pas un obstacle pour tisser des liens.

À la maison, ils ont aussi la possibilité d’apprendre à leur rythme, avec des supports solides que nous avons choisis après de longues recherches, adaptés à leur façon d’apprendre ; ils sont ouverts sur le monde, sur la nature, et leur curiosité est nourrie de manière personnalisée.

Nous prenons le temps de discuter avec eux pour leur permettre de comprendre le monde qui les entoure, afin de leur expliquer les valeurs humanistes qui nous semblent indispensables au maintien d’une société juste et respectueuse, nous leur parlons de l’engagement citoyen que nous attendons d’eux.

Bref, c’est tout un mode de vie que nous avons choisi, que nous adaptons aux besoins de chacun, et dans lequel tout le monde s’épanouit. Ce n’est pas un choix contre l’école, mais un choix pour les enfants, pour une société future meilleure. On entend souvent que les parents qui choisissent l’instruction en famille veulent absolument « garder leurs enfants pour eux » … Ce serait méconnaître la réalité des parents qui choisissent d’instruire leurs enfants ! Vivre 24 heures sur 24 avec ses enfants, ce n’est pas reposant (le confinement en aura été le révélateur pour beaucoup). Il est également important de réaliser que, pour leur fournir l’attention qu’ils méritent, l’un des parents renonce à avoir un emploi à l’extérieur, et nous choisissons donc d’avoir un mode de vie simple, compatible avec un seul revenu.

Ce mode de vie nous l’avons mûrement réfléchi, nous l’avons choisi pour des raisons très profondes, qui sont avant tout pédagogiques, et n’avons pas prévu d’en changer, sauf sur la demande des premiers concernés : nos enfants.

Le Président semble considérer que les enfants instruits en famille échappent à tout contrôle, faisant apparemment l’amalgame avec les écoles clandestines, mais c’est tout simplement faux, et notre Président le sait parfaitement puisque ces contrôles viennent d’être encore renforcés, et étendus aux enfants à partir de 3 ans dans la loi curieusement nommée pour l’école de la « confiance ». L’instruction en famille est aujourd’hui très contrôlée, ce que nous estimons nécessaire et justifié, compte tenu de l’enjeu que représente l’instruction dans une société civilisée :

nous devons chaque année faire une déclaration d’instruction en famille à la Mairie de notre domicile et au Directeur d’académie,
nous sommes l’objet d’un contrôle par la Mairie tous les 2 ans,
nous recevons chaque année l’inspecteur d’académie pour un contrôle pédagogique,
depuis 2016, nos enfants sont soumis aux attendus de fin de cycle de l’Education Nationale,
si l’inspecteur d’académie estime que les résultats de nos enfants ne sont pas suffisants, il programme un nouveau contrôle dans les deux mois suivants,
l’Education Nationale a la possibilité de demander la rescolarisation en cas de second contrôle négatif,
et des contrôles inopinés sont possibles, ce qui veut dire qu’en choisissant l’instruction hors école, nous acceptons qu’une équipe de l’inspection d’académie vienne chez nous sans s’annoncer, afin de vérifier la façon dont nous prenons soin de nos enfants et de leur instruction.
Si des déviances existent, les moyens existent donc déjà pour y mettre fin.

Et si l’Etat n’avait pas les moyens de ce contrôle, comment les aurait-il pour enseigner à ces enfants (50 000 environ d’après les chiffres officiels, sans compter les 90 000 enfants scolarisés dans des écoles privées hors contrat) au quotidien ?

En 2017, la dépense moyenne engagée par l’Etat par élève et par an était estimée à plus de 8000 €. L’économie réalisée pour les enfants instruits en famille libère un budget conséquent pour organiser des contrôles nous semble-t-il. L’allocation de rentrée scolaire, que nous ne percevons pas, couvre largement à elle seule cette dépense (seule justification de ce non-droit d’ailleurs).

Les familles que nous côtoyons et qui ont fait le choix de ne pas scolariser leurs enfants le font pour des raisons multiples : philosophiques, pédagogiques, parce qu’elles souhaitent respecter les rythmes d’apprentissage de leurs enfants, en raison de carences de l’Education Nationale, pour des enfants à besoin particuliers pour qui l’enseignement scolaire n’est pas adapté (enfants à haut potentiel, souffrant de troubles « dys », TSA, phobie scolaire…), pour donner à leurs enfants une plus grande liberté, plus de contact avec la nature, pour leur permettre de tisser des liens avec les autres et donc de mieux s’intégrer dans la société, dans la réalité du quotidien… Aucune ne l’a fait dans un esprit de séparatisme d’avec la République.

Un certain nombre de figures de notre histoire nationale ont d’ailleurs été instruites en famille et se sont bien intégrées dans la société par la suite : Blaise Pascal, André-Marie Ampère, Pierre Curie, Marguerite Yourcenar, Jean d’Ormeson, Maud Fontenoy…

Nous ne sommes pas des séparatistes mais bien au contraire des parents soucieux du respect et du bien-être de leurs enfants, investis dans leur éducation, afin de leur permettre de devenir des citoyens empathiques, investis, utiles à notre société. Notre Président qui souhaite éviter les amalgames en fait pourtant un bien grossier : les terroristes endogènes répertoriés n’ont-ils pas tous fréquenté l’école de la République ou ses institutions ? Aucun n’a vécu l’instruction en famille.

Nous ne pensons pas que les parents qui « sortent leurs enfants des radars » (écoles clandestines, enfants non déclarés) et qui donc ne respectaient déjà pas la loi jusqu’alors, se mettront subitement à s’y conformer…

L’annonce que le Président de la République vient de faire frappe notre famille avec une grande violence : nos enfants aiment leur vie, ils aiment pouvoir apprendre à leur rythme, en suivant leurs centres d’intérêt, être en contact quotidien avec la société, et ils ne veulent pas changer de vie. Est-ce en rendant une institution obligatoire que l’on crée la Liberté ? ou les esprits libres qu’il plébiscite ? Est-ce ainsi que l’on « fait aimer la République » comme semble le souhaiter notre Président ? Est-ce avec une politique du « tout le monde pareil » que l’on favorise l’ouverture à l’autre, la compréhension des différences, l’empathie qui sont si importantes à nos yeux de parents ?

À l’évidence, l’IEF ne saurait être remise en cause par des arguments de lutte contre le séparatisme ou budgétaires. Quelle serait donc la justification de cette privation de liberté ?

La loi que le Président souhaite voir voter porterait atteinte à la liberté d’enseignement, à la liberté de conscience, à la liberté d’aller et venir… De nombreuses valeurs constitutionnelles seraient remises en cause : ce serait en totale contradiction avec l’esprit de bienveillance, de respect, et de non-violence avec lequel nous avons tâché d’élever nos enfants jusqu’ici et le concept de République démocratique tel qu’enseigné dans nos manuels d’histoire.

Cette loi se veut porteuse de rassemblement… et pour la première fois, des familles parlent de s’exiler ! L’idée m’a effleurée également et j’avoue que jamais je n’aurais cru cela possible.

Nous voulons encore avoir confiance dans l’ouverture d’esprit de notre pays, la France des Lumières, la France des droits humains : pour notre part, nous voyons nos familles « non sco » comme une chance pour la diversité éducative, une grande richesse pour notre pays !

Notre société subit de très importantes mutations qui vont nécessiter une grande adaptation à tous égards. De nouveaux profils, plus créatifs, plus adaptables, plus flexibles, plus ouverts, sont attendus par les entreprises, le savoir est désormais à portée de main de chacun, le télétravail est de plus en plus plébiscité… Nous pensons que le succès grandissant de l’instruction en famille est le reflet de ces profondes mutations, auxquelles l’école actuelle ne répond pas encore. Plutôt qu’être l’objet de suspicions et de peurs, l’instruction en famille pourrait être regardée avec curiosité et ouverture, comme un laboratoire de mise en œuvre de nouvelles pratiques éducatives, dans un esprit de collaboration avec l’Education Nationale. Certains inspecteurs sont d’ailleurs déjà dans cet état d’esprit.

Témoignez !

Envoyez-nous votre témoignage à temoigner@laia-asso.fr ou cliquez sur le bouton ci-dessous.

Témoigner
Aller au contenu principal