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Camille, Montesquieu-Avantès

Sous mes souliers d’enfants de 6 ans, les pierres des sentiers cévenoles escarpés roulaient. Lors de ma descente solitaire jusqu’à la route que sillonnait mon bus scolaire, elles paraissaient égrainer, en dégringolant avec enthousiasme, les minutes me rapprochant de l’école.

La rosée du matin perlait sur le dos des herbes rases, sous un soleil soyeux, les oiseaux s’émerveillaient à tue-tête.

Mon regard caressait à perte de vue les basses montagnes ensauvagées, les petits chênes noueux contractés par les sécheresses, quelques granges de pierres fièrement dressées sur les versants Sud et un malicieux ruisseau cristallin formant une joyeuse cascade me fredonnait :

–  » Tu vas apprendre et rencontrer dans le monde de la ville ? Tu me raconteras au retour ? »

–  » Oui, oui ! Vite ! »

Et je dévalais le sentier en chantonnant.

Je m’engouffrais à l’école primaire le cœur débordant de joie, ravie de côtoyer des enfants, moi qui était fille unique. Je trépignais d’impatience d’enfin avoir accès à la bibliothèque dont je rêvais tant depuis mon minuscule mazet de pierre.

Contre toute attente, je fis ma rentrée dans une école de petite ville, pas merveilleuse, contrairement à d’autres écoles de villages avoisinant plus petites.

Si bien, que chaque jour me troublait un peu plus. La bibliothèque minuscule et rarement ouverte. La cours bétonnée sans âme, toute lisse, dont les grilles m’indignaient. Des groupes de garçons violents qui sévissaient, tapaient, harcelaient presque toutes filles et tous les garçons timides ou rêveurs. Des filles qui menaient des guerres de clans intestines à coup de chantage. Quelques pacifistes rêveurs, comme moi.

Deux ou trois maîtresses que j’adorais mais surveillant trois cents enfants et en grand débat pour organiser les prochaines grèves afin de ne pas perdre leurs libertés pédagogiques et leurs classes à effectifs réduits, n’étaient subséquemment pas au fait du déroulement archaïque des récréations.

Je m’amusais dans le théâtre et la création de récit, ce qui me valus de la considération et parfois un assouplissement de la pression menée par les garçon. J’étais chanceuse.

Le soir, mon petit ruisseau m’attendait.

–  » Alors ? Alors ? » clapotait-il.

–  » Alors, j’observe et je ne comprends pas. J’observe les autres enfants et j’aimerai comprendre pourquoi ils agissent ainsi. En tous cas, ils ne parviennent pas à tenir une conversation alors je vais souvent avec les adultes mais ils sont occupés et écourtent les échanges. Il ne me tarde qu’une seule chose c’est d’être assez grande pour être libre et je me fais la promesse solennelle de ne jamais oublier ma lucidité en cet instant car en tant qu’enfant on a le droit au respect. Nous sommes conscients et libres de penser. »

–  » Tu sais », répondait le ruisseau « moi, je te comprends et je suis là pour toi. Toujours. Demain tu me raconteras ? »

Je chantais encore un peu avec lui puis rentrais avec lassitude. Ma famille qui m’avait de mémoire vanté ma petite enfance extrêmement facile, mon sommeil de loir et ma bonne humeur à toute épreuve, paraissait tout à coup, ne plus bien me comprendre et je leur en voulais.

À 10 ans, je n’imaginais pas me passer de ma sociabilisation à l’école. C’était juste la forme qui n’étais pas juste pour moi, je ne supportais plus l’atmosphère angoissante de la classe, la position assise sur chaise rigide et sans mouvement, la peur de participer et d’être moquée, les notes. Et je ne cultivais décidément pas un esprit scolaire classique ce qui me valait d’immenses efforts pour parvenir à un niveau passable.

Je m’enfouissais avec empressement dans les arts comme pour compenser mon désappointement. Je plongeais dans les pages de  » Croc blanc « ,  » L’appel de la forêt « ,  » Le seigneur des anneaux « . Et j’attendais avec impatience ma lettre pour Poudlard car j’avais comme un pressentiment concernant le collège.

Ne voyant pas de hibous se présenter, faute de mieux et ne me résignant à laisser tomber mon opiniâtre optimisme, j’imaginais la merveilleuse vie collégienne qui m’attendais. Une bibliothèque en bois immense, une liberté de mouvement et de parole pour débattre avec les enseignants sur des sujets trépidants qui ont du sens, des élèves curieux, des matières à explorer.

–  » Tu pars ? » murmura le ruisseau

–  » Oui »

–  » Tu ne pars pas trop loin quand même ? »

–  » Je ne crois pas. On ne se verra plus jamais, même si tu nageras toujours dans mon cœur. Bon, il faut que j’aille dire au revoir aux chênes. »

–  » Bien-sûr qu’on se reverra ! Quelle idée ! Moi je chanterai toujours pour toi ici ! »

Un déménagement m’éloigna des crêtes, et même si les ondoyantes forêts de châtaigniers qui m’abritaient dès lors ruisselaient de sept sources et cours d’eau, je ne les écoutais que distraitement en perdant ma voie.
Car le choc fut violent au collège, j’y partais en trébuchant sur les pierres et m’écorchant les genoux. Dépossédée de ma liberté de mouvement et de créer pour apprendre alors que j’étais en pleine construction d’identité, j’observais les enseignants débordés. Je m’étonnais de ne même plus posséder une place personnelle stable en classe avec ces changements de salles à coup de sonneries militaires chaque heure et toujours la même bande de garçons violents, en pire.

Je lâchais mon sourire ce qui me valus de devenir l’une des proies les plus prisées du collège. Et ma famille m’y trainait par la force, non sans tentatives de dialogues et rencontres avec psychologues mais farouchement résolus :  » Les ados, c’est comme ça, pour qu’ils apprennent il faut les forcer. Les sociabiliser n’est possible qu’à l’école et c’est de ta faute si les autres te frappent tu n’as qu’à être positive. On ne peut pas faire sans école, au pire, tu n’as qu’à aller au CDI pendant les pauses ».

Nous étions plusieurs persécutés à attendre désespérément la documentaliste caché là où nous pouvions.

Je n’en voulais pas aux enseignants de ce manque de présence, je les observais avec admiration, aux prises avec des enjeux importants et une administration de plus en plus sévère, ils étaient débordés.

Le miracle qui me raccrocha à la vie alors que je glissais dans la pente du suicide dans un vide sidéral fut un concert de la chanteuse Marianne Aya Omac rencontré juste à temps.

Peut être avait-elle conversé avec mon ruisseau, en tous cas il suffit d’une soirée pour que je découvre dans son chant mon chant d’enfant et l’invention des hommes préhistoriques du feu intérieur. Cette flamme vacillante à qui il fallut des années pour reprendre vigueur et tout rééclairer me porta néanmoins à des rencontres magnifiques de tous bords, de tous âges.

Le jour des mes quinze ans, je retournais sur ma crète cévenole et me précipitais à la rencontre du ruisseau, il m’avait attendu mais je m’inquiétais de le voir si maigre.

–  » Bon tu es revenue ! Et bien plus grande, avec cette chatoyante lumière et cette belle voix.

– « Mais, toi, tu es trop chétif pour cette période de l’année ! «

–  » C’est qui Il fait trop chaud  » semblait il articuler

–  » Je prendrais soin de toi  » je lui promis.

–  » Et les chênes ?

– « Oui !

–  » Et les oiseaux ?

–  » Bien sûr ! J’ai grandis avec vous je ne vais pas vous abandonner comme ça ! La ville, j’en aime surtout le théâtre, la musique, l’architecture ancienne et les rencontres. »

Mon chemin fut, sans surprise pour moi, de persévérer dans l’éducation publique, malgré la sensation qu’une école mieux bâtie devrait exister. Et grâce à ma curiosité insatiable, je poursuivis : bac littéraire européen, licence en Arts du spectacle, un zeste de psycho et lettres modernes.

Et par hasard tous les emplois qui se présentèrent à moi débordaient d’enfants : accueil en théâtre jeune public, bénévolats dans d’innombrables festivals et associations éco-citoyennes et caritatives, pôles animations et spectacle avec un auto-entrepreneur sur marchés régionaux qui me fit parcourir la France via les villages, fermes pédagogiques et lieux d’accueils natures, services civiques en MJC au sein du dispositif d’aide aux devoirs, gardes d’enfants de tous milieux sociaux, école alternative nature et formation pédagogique Waldorf, préparation des concours d’Éducateur de Jeunes Enfants auquel je fus reçue mais une surprise vint stopper le projet d’Éducatrice.

–  » Mais qui est ce jeune homme qui t’accompagne ?  » s’étonna le ruisseau aux traits plus affinés encore qu’avant

–  » C’est le papa du bébé qui est dans mon ventre ! «

–  » Magnifique ! Quelle belle nouvelle ce têtard ! Pourquoi il nage aussi fort dans sa mare ? «

« Je ne sais pas, c’est le premier, ce n’est pas normal ? «

– « Les têtards s’endorment parfois dans mon ventre à moi. Tu pars? «

–  » On rejoint les Pyrénées car j’ai la sensation que les Cévennes se profilent en désert. «

–  » Bonne idée, je te rejoindrais là bas dès que possible par les affluents ! «

Les Pyrénées s’imposèrent comme destination. Des montagnes, la brume matinale, des lacs, des villages actifs, la vie.

Pendant ma grossesse, j’imaginais reprendre le travail très tôt car me restait la croyance que » la maman doit vite retrouver son emploi et les enfants doivent au plus tôt être gardés étant donné que la famille a souvent une influence subjective « .

C’était sans compter que ma fille, Amalya, serait hypersensible. Elle hurlait toute le jour durant, ce qui mis un frein à tous mes projets et j’optais pour me centrer sur elle et chercher à comprendre.

Il fallut 18 mois, de patience, de tonnes d’amour, un rythme biologique avec respect du sommeil physiologique marqué et un petit frère, pour la voir enfin commencer à sourire, dormir, échanger.

Je cherchais désespérément une petite école publique ou alternative chouette pour sa rentrée obligatoire l’année de ses trois ans et j’aimais toujours profondément les écoles justes pédagogiquement mais force est de constater qu’Amalya accusait une complexité émotionnelle telle qu’elle en était au même niveau de gestion émotionnelle que son petit frère. Par contre, niveau intellectuel et motricité, elle nous étonnait chaque jour.

Et mon projet d’école, car je préparais ce projet de création d’une école, n’étais pas encore prêt.

Je fis la déclaration d’Instruction En Famille (IEF) un peu dubitative mais je réalisais que dans notre situation c’était le bon choix. Un choix qui découlait de la bienveillance mise en place dès la grossesse.

Fidèle à ma promesse intérieure d’enfant, s’il y a bien une chose que j’ai compris grâce à mes expériences avec les petits bouts et avec la nature, c’est que ma principale place en tant qu’adulte est de les écouter pleinement, de les laisser imiter et inventer, en leur apportant le terreau et l’eau pour pousser librement et de nombreux échanges sociaux car  » c’est grâce aux échanges avec les autres qu’on se rencontre soi même « .

Je leur propose des journées orchestrées sur un rythme joyeux qui suit des thématiques liées aux saisons selon une alternance d’activités intellectuelles et physiques non obligatoires. Ils participent aussi à toutes les tâches quotidiennes, cuisine, potager, rangement, s’ils le souhaitent.

Je m’explique, après le petit déjeuner le matin, je démarre une activité qui n’est pas obligatoire pour eux, que je fais pour moi, ils ont le choix de jouer librement dans leur coin jeu. Leur curiosité naturelle les pousse presque toujours à venir observer et participer.

L’enfant est ainsi dynamique dans l’apprentissage et il n’est pas non plus laissé seul dans une jungle sauvage.

L’atelier que je propose, je le fais avec pour objectif principal d’évoluer moi même dans ma progression personnelle de l’activité, c’est pour moi primordial.

Par exemple, imaginons un temps de dessin. Je dessine pour moi des dessins complexes et Amalya si elle le souhaite prend place à mes côtés et dessine librement sur sa feuille. Je ne lui donne aucunes consignes. Elle crée librement.

Le résultat? Elle imite non seulement mes gestes techniques extérieurs dont elle est capable mais également le geste intérieur de l’adulte qui est l’aptitude à se concentrer, se perfectionner et inter-agir. Elle fait ainsi au rythme de son développement intellectuel et corporel.

Dans ses cahiers, Amalya qui n’a pas encore 3 ans sait déjà tracer les figures géométriques, les points, les droites. Non pas parce que cela lui a été imposé ni inculqué sous forme de fiches d’activités scolaires mais simplement parce que, me voyant faire des dessins très complexes avec application, elle reproduit l’essence de ce qui les composent. Elle y inclus de plus sa créativité personnelle librement.

Ma seule démarche est de m’émerveiller et de nommer sa découverte :  » Ho ! Tu as fait une droite. Mais c’est un triangle !«

La liberté oui mais cela n’empêche pas que des règles de vies sont instituées et, sur certaines activités, des règles sont à observer. Par exemple sur la table des saisons, elle peut transvaser nos haricots récoltés au jardin mais elle n’a pas le droit de les disperser dans la maison, car l’enfant a fondamentalement besoin de certaines limites pour s’épanouir.

Le geste d’apprendre par imitation, l’enfant le possède de lui même depuis la naissance, c’est d’ailleurs grâce à cela qu’il développe les étapes « marcher », « parler », « penser ». Il a simplement besoin d’un modèle humain disponible à imiter directement. Si l’émerveillement et la curiosité sont cultivés dans l’attitude de l’adulte, il vient de lui même participer avec joie.

En Ariège, notre famille fait le choix de s’investir socialement à la rencontre de familles de tout horizon en fréquentant des groupes de jeux au sein de centres sociaux CAF de plusieurs villes, d’écoles alternatives et aussi des familles scolarisant en école publique. Et des personnes âgées ! L’intergénérationnel est primordial pour nous.

La plupart des autres familles en IEF sont aussi dans cette démarche d’inclusion sociale et de respect du besoin de l’enfant qui, s’il demande à aller à l’école, est entendu.

Notre famille s’investis par ailleurs dans le paysage de la vie culturelle, associative, tout en nourrissant des projets de vie soucieux de l’environnement et de la solidarité sans limites aucune de frontière ou d’espèces . Ne pas détruire le vivant, ne pas blesser nos enfants, être tolérant, s’entraider c’est, pour nous, libérer l’avenir.

Nous découvrons également en ce moment l’école publique Suédoise, un modèle de respect de l’enfant et son développement, pour son bonheur et non pour devenir un adulte rentable. Je vous encourage à aller regarder, oui une école avec l’objectif de servir le bonheur des enfants est possible tout en maintenant un très bon niveau d’enseignement !

Notre démarche est profondément laïque mais avec le respect d’ouverture au concept que l’homme est encore loin de connaître toutes les surprises qui regorgent sur notre planète et dans l’univers et que notre vie a du sens. C’est donc une approche laïque et spirituelle.

Nous savons que la solidarité et le respect de la vie est la seule issue viable pour l’avenir de notre humanité et du vivant qui connait sa 6ème extinction de masse.

Cachée dans une vallée non loin de notre location actuelle, une rivière souterraine émerge d’une grotte préhistorique très connue,

–  » C’est pittoresque et dépaysant les Pyrénées » claironne une voix cristalline bien connue

–  » Youpi ! Tu es arrivé jusque là ? »

–  » Oui, ce fut une sacrée traversée ! Dis donc, on va bientôt pouvoir leur apprendre à nager à tes tétards maintenant ! »

– « J’y compte bien! «