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Elio, Toulouse

Je m’appelle Elio, né à Milano en 1977. Je n’ai pas d’enfant.

Je suis en France depuis une dizaine d’années, et, depuis le même nombre d’années, j’ai découvert que l’école n’était pas obligatoire, que ce qui est obligatoire c’est l’instruction. Quand j’ai l’ai découvert ça a été un choc, à la fois une belle nouvelle et, en même temps, je me suis dit « j’aurais pu m’éviter tout ça ! ». Oui, sûrement à l’age de 10 ans j’aurais obligé ma mère à me dé-scolariser, vu l’atrocité de mon quotidien à l’école.

Aujourd’hui je passe beaucoup de temps avec des enfants en IEF. Au début j’ai été appelé en tant qu’artisan à donner un coup de main pendant certains ateliers de bricolage, au sein d’un lieu de jeu  pour enfants IEF ou avec des problèmes à l’école. J’ai été très touché par ces expériences et, petit à petit, ça s’est fait tout seul, j’ai quitté mon activité d’artisan, j’ai créé un projet associatif avec un groupe d’adultes qui avaient envie de partager leurs savoir-faire et maintenant je suis responsable de cette association. J’organise beaucoup d’ateliers et j’anime un atelier de mosaïque pour enfants, la plupart en IEF.

Pourquoi ce choix ? Parce que le contact avec ces enfants n’a pas été sans conséquence, d’une part je me suis retrouvé à les conduire dans la découverte de mon métier, d’autre part je me suis nourri de leurs rapports sans compétition, de leur liberté mentale, de leur goût de découverte, de leur capacité de visualiser des solutions en dehors de schémas préétablis. J’ai compris que la créativité est la capacité de trouver la solution face à un problème, et non l’expression d’une extravagance pour attirer l’attention des autres et leur plaire.

En évitant la soumission aux conditionnements scolaires, une élasticité et une souplesse d’esprit sont préservées, et ces qualités sont pour moi extrêmement précieuses dans le moment historique qu’on est en train de vivre. Je regarde les conditions du monde à l’heure actuelle : graves problèmes d’environnement, sociaux, politiques, culturels. Un dysfonctionnement général qui nous emmène droit dans un mur et en face de cela l’incapacité de l’être humain à changer de direction, à cause de ses habitudes, de ses rigidités, ses blocages, dus au conditionnement culturel auquel il est asservi depuis la plus tendre enfance. Personnellement je fais l’effort de me diriger vers une autre direction, je contribue à donner la possibilité à une nouvelle génération de préserver un sens critique et la créativité nécessaires pour imaginer d’autres solutions aux problèmes qui nous menacent, et j’en bénéficie énormément dans mon quotidien.

Il y a quelque temps j’ai témoigné lors d’une rencontre sur l’éducation, à la question « êtes-vous contre l’école ? ». J’ai répondu que je ne suis pas contre l’idée d’école dans le principe, mais que je suis sûrement contre l’expérience scolaire que j’ai vécue dans mon enfance. J’ai été privé de dialogue, contraint physiquement, tapé et insulté à longueur de journée, découragé  voire entravé dans mes passions, j’ai été victime de mon statut social considéré comme inférieur et j’ai donc passé mon enfance à me sentir responsable de mon inadaptation sociale au sein de l’école parce que je n’ai jamais rencontré d’adulte qui m’aurait expliqué que « le problème ne vient pas que de toi, mais de la structure dans laquelle tu es en train de grandir ».

Le vrai problème est que dans ce système à la fois nous sommes victimes, à la fois assez vite nous assimilons ce fonctionnement pour ensuite le reproduire malgré nos souffrances, et même si le chemin d’analyse et de compréhension peut nous réveiller, la spontanéité physique et mentale abîmée pendant cette expérience ne peut pas être réparée, pour cette raison il devient nécessaire de la préserver.

Il ne s’agit pas juste de classes favorisées ou défavorisées, il s’agit de la prise d’un rôle en opposition aux autres. Riche ou pauvre, national ou étranger, d’un sexe ou d’un autre, on se retrouve enfermé dans sa catégorie et obligé de la représenter. Enfant, je n’avais jamais perçu la composition de ma famille ou de ma classe sociale défavorisée jusqu’à mon arrivé à l’école.

Déjà à mon époque l’école n’était donc pas capable en tant que structure d’assumer ses objectifs de structure sociale et éducative de façon convenable et, pendant ces quarante ans, la situation a empiré sans arrêt. Je trouve donc grave aujourd’hui la menace de rendre obligatoire l’école en France, au lieu justement de respecter le choix tout à fait sain de la part d’un grand nombre de parents : s’occuper de l’instruction de leurs enfants à la maison ou dans des structures alternatives et éviter de continuer à augmenter le poids d’une institution déjà écrasante.

La société a le devoir de réfléchir à des solutions alternatives pour sortir de sa situation de danger, au lieu d’obliger ceux qui prennent des positions différentes et autonomes à se soumettre à un système défaillant et obsolète.

Je ne souhaite pas témoigner du fait que les enfants en IEF son bien éduqués envers moi en tant qu’ animateur d’une activité, qu’ils sont propres et bien nourris, mais plutôt que leur spontanéité, leur curiosité, leur vivacité et leur esprit critique sont préservés par ce choix éducatif.

Si nous avons l’intention de résoudre nos problèmes, nous avons intérêt à travailler à des systèmes éducatifs différents et autonomes, les défendre, les respecter et les soutenir et à profiter d’une nouvelle génération plus apte que  l’actuelle à réinventer notre vie d’êtres humains dans ce monde déjà épuisé par notre présence.