Skip to content

Fanny, Paris

Pianiste, j’ai fait 4 ans de ma scolarité au CNED et mes 2 petites filles sont instruites en famille.

Mon parcours scolaire a été pour le moins diversifié : j’ai connu une classe unique de village, un collège public en Haute-Savoie, une classe horaires aménagés musique à Rennes et le CNED (pour le CM2 et le lycée).

Je considère que mes années de CNED ont été une grande chance et ont contribué à ce que je sois aujourd’hui une personne épanouie, tant sur le plan professionnel que personnel.

Voici mon témoignage.

3 ans. C’est ma première rentrée, dans une école de village à classe unique. Je ne suis pas accueillie par la maîtresse, mais par une grande de 5 ans, qui me fait visiter la classe en me tenant par la main. C’est peut-être grâce à elle que j’adore la maternelle.

Comme mes parents travaillent le mercredi après-midi, la maîtresse accepte que mon frère et moi n’allions pas à l’école le jeudi matin, pour que ma mère puisse nous voir.

5 ans. Je veux apprendre à lire. Ma mère trouve tout naturel de répondre à ma demande. Quand la maîtresse découvre que je sais lire, elle est furieuse et réprimande ma mère. Ma mère est très surprise : un peu plus tôt, un peu plus tard, pourquoi en faire tout un plat, le plus important n’est-il pas le plaisir d’apprendre ? Finalement, la maîtresse me fait passer un test de niveau et je saute le CP.

École primaire, toujours en classe unique. J’aime les apprentissages scolaires mais je m’ennuie, je me tortille sur ma chaise, je lis des livres en attendant que les autres finissent leur travail. Je me sens en décalage avec les autres enfants. Je les aime bien, pour la plupart, mais j’ai du mal à trouver des centres d’intérêt communs. Aux anniversaires, mes copines ne font que jouer à la poupée, j’ai horreur de ça, je me force par politesse.

9 ans. Mon petit frère dit tous les matins qu’il ne veut pas aller à l’école. Au bout d’un moment, ma mère nous explique que si nous le souhaitons, nous pouvons faire l’école à la maison. De façon inattendue, mon frère choisit de rester à l’école (et ne se plaindra plus jamais en y allant) et c’est moi qui opte avec enthousiasme pour une année de CNED.

Souvenirs très lumineux de cette année de CM2. Ma mère m’aide la première semaine, ensuite je fais tout toute seule : quel plaisir d’être enfin autonome ! Pour l’occasion mes parents m’ont acheté un bureau et, à Noël, je reçois l’un des plus beaux cadeaux de ma vie : une chaîne hi-fi. J’écoute France Musique et je me passe en boucle mes CD favoris : le concerto pour violoncelle de Dvorak et le double concerto pour piano et timbales de Martinu.

A cet époque, je fais du piano, du violoncelle, de la danse, du théâtre.

Je sais déjà que je veux être musicienne.

10 ans. J’entre au collège. 6e et 5e au collège public de la petite ville la plus proche. Il faut prendre le car de ramassage scolaire tôt le matin, l’attendre parfois dans la neige par -10 degrés. J’ai un groupe de copines sympa et une meilleure amie avec qui je rigole bien. Mais quel ennui en cours, ça va si lentement, il est si pénible de rester assis. Les cours d’athlétisme, dans le froid glacial, sont une torture. Il y a trop de bruit et d’agitation pour moi au collège, je deviens de plus en plus fatiguée. J’ai l’impression de perdre mon temps. Quand je pense qu’à la place je pourrais faire de la musique !

Je vais au conservatoire plusieurs fois par semaine. C’est le bonheur, en particulier le cours d’orchestre. Pour un concert, je dors chez une amie étudiante, grande élève de la classe de violoncelle. Sa vie me fait rêver, je n’ai qu’une hâte, en finir avec l’école pour être étudiante moi aussi !

12 ans. Nous déménageons à Rennes. Je découvre la vie urbaine. Je fais ma 4e dans une classe à horaires aménagés musique. Déception, je passe malgré tout beaucoup de temps au collège. Je n’aime pas l’ambiance de ma classe. Mon nouveau professeur de piano me dégoûte presque de la musique. Je supporte mal de me lever si tôt, je suis de plus en plus épuisée. Ma famille traverse de grosses difficultés. Je suis mal dans ma peau, je me sens très seule.

L’été de mes 13 ans. C’est décidé, je vais poursuivre ma scolarité par le CNED. Histoire d’écourter encore cette période de scolarité obligatoire, nous avons demandé l’entrée directe en seconde. Après plusieurs rendez-vous, l’inspection académique accepte que je saute la 3e à condition de réussir un examen début septembre. Pendant l’été, je suis donc les cours de rattrapage du CNED, niveau 3e, dans les matières de l’examen (maths, français, anglais). Je fais aussi 3 stages de musique. C’est une renaissance. Convivialité, liberté, découvertes,… Dans l’un des stages, je rencontre un professeur de piano qui m’en apprend plus sur la technique pianistique en quelques jours que je n’en avais appris pendant toutes ces années. Il deviendra mon « maître » et j’entrerai dans sa classe quelques années plus tard.

À la fin de l’été, je réussis l’examen d’entrée en seconde.

Poursuite de ma scolarité au CNED, pour tout le lycée. Ce sont de belles années. J’apprécie à nouveau de pouvoir vivre à mon rythme, organiser mon travail comme je veux, passer plus de temps sur les matières que j’aime. Je consacre beaucoup moins de temps au scolaire et je gagne aussi le temps des trajets. J’en profite pour suivre davantage de cours au conservatoire : analyse, histoire de la musique, beaucoup de musique de chambre,… Je commence un cursus d’accompagnement : je sais tout de suite que ce sera mon futur métier, tant je m’y sens à ma place.

Ma mère décide de suivre une formation supérieure en violon. En effet, elle enseigne cet instrument depuis longtemps mais elle est insatisfaite de son niveau et souhaite passer le DE. La formation a lieu pendant quelques jours par mois, à 100km de chez nous. Puisque je suis libre, j’accompagne ma mère. La prof est une grande musicienne, excellente pédagogue, charismatique, mais aussi caractérielle : les clashs et les larmes ponctuent les stages, tout comme les grands moments de musique. Tout cela est abondamment commenté après coup par la petite communauté de stagiaires, groupe hétérogène mais soudé de violonistes de 17 à 40 ans. Pendant les cours, je me retrouve souvent au piano, à remplir officieusement la fonction de pianiste accompagnatrice. Je découvre dans le même cadre la méthode Feldenkais, pratique corporelle qui me sera d’une grande aide dans mon travail pianistique.
Quelle expérience pour moi que ces stages, riches de tant d’enseignement sur la musique et sur les relations humaines !

15 ans. J’obtiens mon Bac S, mention AB. Enfin fini !

Je poursuis mes études de musique et, l’année suivante, j’obtiens mon diplôme de fin d’études au conservatoire de Rennes.

17 ans. J’entre au conservatoire de Saint-Maur. Pendant quelques années, je fais des allers-retours entre Rennes et Paris, et, surtout, je travaille beaucoup mon piano. J’échoue plusieurs fois à mes examens, pourtant je progresse beaucoup, mais ça ne suffit pas. En plus, j’ai des tendinites à répétition. La méthode Feldenkrais m’aide à passer ce cap et, au passage, bouleverse mes croyances sur l’apprentissage : c’est la première pierre de ma réflexion sur ce sujet.

21 ans. Je vis depuis un an avec celui qui deviendra mon mari. Je réussis le concours d’entrée en accompagnement au CNSM de Paris, saint Graal des musiciens. J’ai la chance d’y intégrer 2 classes formidables, où je reçois un enseignement exceptionnel. J’en sors 4 ans plus tard avec un double master et déjà en poste professionnellement.

27 ans. J’accouche de ma première fille. Je lis beaucoup sur le développement des enfants, l’éducation. C’est un bonheur et un émerveillement de la voir grandir. J’observe sa façon d’apprendre, je fais des liens avec mes propres expériences d’apprentissage et avec mes lectures. C’est une évidence : les enfants ont un appétit et une capacité à apprendre phénoménaux ! Je m’attache à soutenir cet élan naturel.

Bientôt une deuxième petite fille vient agrandir la famille.

30 ans. Mes lectures m’ont amenée à la découverte du « unschooling », une philosophie parfois résumée en français sous le nom d’apprentissages auto-dirigés. C’est décidé, nos filles n’iront à l’école que si elles le demandent !

32 ans. Nos filles grandissent et apprennent avec joie. Elles sont très sociables. L’inspection de l’académie s’est bien passée.

Je mène à temps partiel une vie musicale épanouissante, je suis fonctionnaire de la Ville de Paris, je prépare mon diplôme de chant lyrique.

Arrive le Covid : tous les petits français se retrouvent privés d’école, un comble pour notre première année d’IEF.

Septembre 2020 : notre aînée a demandé à essayer l’école. Elle est très curieuse, à force d’en entendre parler. Nous l’avons inscrite à l’école publique de notre rue, soucieux de soutenir son choix et de lui montrer qu’elle est libre de choisir son mode d’instruction. Au bout de deux jours d’école, l’expérience lui suffit et elle décide de reprendre l’IEF, “parce que c’est mieux” dit-elle.

2 octobre 2020 : la déclaration d’Emmanuel Macron est un choc immense. Quoi, pour quelques dérives marginales, on voudrait supprimer cette liberté fondamentale, briser l’épanouissement des enfants ?

Je ne peux m’imaginer forcer mes filles à fréquenter l’école contre leur gré.

J’ai eu tellement de chance, moi-même, de pouvoir choisir et ce choix m’a permis de vivre tant d’expériences passionnantes !