Je m’appelle Muriel et je pratique depuis le début l’instruction en famille pour mon fils L. âgé maintenant de 12 ans.
À l’origine de cette décision, prise en commun avec son père, le fait d’apprendre que l’école n’était pas obligatoire et aussi le rythme d’apprentissage très personnel de notre fils. Par exemple, il a parlé après 3 ans mais avant son premier anniversaire il savait compter au-delà de 10, connaissait toutes les lettres de l’alphabet et distinguait un grand nombre de couleurs.
Les premières années ont été en informel complet et un grand bonheur. L. était un enfant curieux de tout, avec des connaissances très pointues dans les domaines qui l’intéressaient le plus, qui parlait tout le temps et était hyper sociable avec tout le monde, tous âges confondus. C’est d’ailleurs quelque chose qui revient souvent quand on discute entre parents non-sco, cette absence d’inhibition de nos enfants vis-à-vis des plus jeunes ou plus âgés qu’eux, adultes compris.
C’est aussi l’époque où nous avons fait construire notre maison : L. a assisté à toutes les réunions de chantier avec moi, a vu tous les corps de métier en action, etc.
À l’époque j’étais éditrice de livres, je bossais chez moi aux heures que je voulais, et L.
m’accompagnait parfois sur les salons, dans les librairies pour des séances de dédicaces, etc.
À partir de 6 ans, démarrage officiel de l’instruction en famille avec déclarations, contrôles et cie. C’était une toute jeune inspectrice qui faisait, elle aussi, son premier contrôle. Et bien qu’étant assez scolaire, elle était très bienveillante et ouverte.
Les deux années suivantes, c’était la même inspectrice, accompagnée d’une adorable conseillère pédagogique et les contrôles étaient devenus un moment convivial et fructueux, nous n’hésitions pas à demander des conseils pour aborder tel ou tel point et le respect était tout à fait mutuel. Les rapports étaient toujours très positifs.
À noter qu’entre-temps nous avions introduit un peu de formel, 1/2h par jour environ, et que la dernière année le père de L. et moi-même étions en début de séparation.
La première année suivant la séparation, et avec l’accord de notre inspectrice, j’avais domicilié L. à mon ancienne adresse – chez son père, donc –, histoire de continuer les contrôles avec les mêmes personnes. Mais il se trouve que c’est un autre inspecteur qui a repris le relais et que le contrôle prévu en avril a été annulé puis reporté (sans un mot d’excuse) au 21 juin, date à laquelle je n’étais pas disponible étant donné
qu’entre-temps j’étais devenue musicienne semi-professionnelle. Malgré mes appels et mes courriels pour signaler ma non-disponibilité et proposer d’autres dates, le 21 juin a été maintenu et nous n’avons donc pas été contrôlés cette année-là puisque nous n’étions pas là… Je suppose que nous figurons à présent dans les stats de l’Éducation Nationale sous la rubrique « refus non légitime du premier contrôle »…
L’année suivante, j’ai déclaré l’instruction dans notre nouveau département, le Cher. Je dépendais toujours de la même académie (Orléans-Tours), j’ai reçu tout à fait normalement le certificat d’instruction dans la famille mais, quelques semaines plus tard, un courrier est arrivé à mon ancienne adresse : en l’absence de déclaration de l’instruction de L. dans mon ancien département, on me menaçait d’un signalement au procureur pour « enfant en danger ». J’avais 15 jours pour régulariser la situation. Je leur ai renvoyé le certificat de scolarité qu’eux-mêmes m’avaient fourni ( ! ) et ça n’a pas été plus loin. Mais cette histoire montre bien que l’inspection académique a tout à fait les moyens de détecter les enfants qui sortent du système (y compris quand ils n’en sortent pas).
Le contrôle suivant (niveau CM2) s’est bien déroulé, toujours à domicile, avec un inspecteur sympathique et une conseillère très scolaire mais gentille, qui a fait passer 2h de tests à L. C’est juste dommage que chacun soit resté dans son coin car à la fin des 2h la conseillère est venue nous faire un compte-rendu des connaissances de L. qui était un résumé de ce que nous avions raconté à l’inspecteur pendant ce temps…
Eh oui, on n’a pas besoin de tester nos enfants pour savoir ce qu’ils savent et ne savent pas, quand on vit avec eux… Mais bon, rapport toujours positif.
L’année dernière, changement d’ambiance. On était à présent au niveau 6ème et le contrôle s’est déroulé très différemment. Au lieu d’un tandem inspecteur/conseillère à domicile, il fallait se rendre dans un collège et on se retrouvait face à un jury digne d’une soutenance de thèse : une inspectrice, le proviseur et 5 professeurs. De quoi intimider beaucoup de monde mais pas notre fils qui est toujours ravi de parler avec des gens et leur raconter ce qu’il sait faire. Sauf que, cette fois-ci, l’inspectrice était abominable et je pèse mes mots. Raide comme la justice, pas un sourire et, hors du scolaire, point de salut, y compris sur le vocabulaire. Je garderai toujours en mémoire un échange surréaliste entre elle et L. qui illustre parfaitement les différences entre nos états d’esprit : c’était à propos de programmation (L. s’était mis à Java l’année d’avant). Elle tenait mordicus à lui faire dire qu’il partait d’un PROBLÈME qu’il fallait résoudre et L. lui répondait « bah, je me lance des DÉFIS »… Elle lui a tenu la jambe jusqu’à ce qu’il finisse par prononcer le mot « problème », et tout le reste du contrôle était à l’avenant. Résultat : même s’ils ont tous reconnu que c’était un enfant qui savait plein de choses et était très expressif (ouf, pas de radicalisation en vue !), ils ont préconisé un second contrôle. Le coronavirus étant passé par-là entre-temps et ayant obligé la France entière à instruire en famille pendant des mois ;), de second contrôle il n’y eut point mais j’ai reçu le rapport qui mentionnait quand même à la fin que la mère « reconnaissait les lacunes de son enseignement et qu’elle envisageait de scolariser L. dans un collège à la rentrée prochaine »… Euh, non. Quand on nous pose la question, on répond toujours qu’on laissera le choix à L. de continuer ou non l’IEF, et c’est le cas, mais comme pour le moment il n’a aucune envie de changer de vie…
Petit aparté : qu’ils soient positifs (comme les années précédentes) ou plus mitigés comme l’année dernière, tous les rapports d’inspection que j’ai reçus jusque-là étaient erronés : orthographe du prénom, date du contrôle, prénom et/ou centres d’intérêt des enfants (souvent les rapports mélangeaient les enfants contrôlés le même jour), niveau ou déclarations fantasmées des parents, tous étaient truffés d’erreurs et je ne parle pas de l’orthographe générale. De la part d’un organisme doté du pouvoir de nous juger et nous sanctionner, je trouve ça, comment dire… inquiétant.
Bref, cette année on continue l’IEF, avec enthousiasme. On suit maintenant plus ou moins le programme de 5ème (début du cycle 4) mais à notre façon. Par exemple, en maths, on a commencé les nombres relatifs en septembre et comme ça allait tout seul on a bouclé le programme du cycle sur cette notion (donc niveau 3ème). L. s’est mis à Javascript en quasiment autodidacte (avec vidéos en anglais) et il a atteint en un rien
de temps la fin du programme niveau terminal. Inversement, pour tout ce qui est grammaire et conjugaison, on est nettement à la traîne car ça ne l’intéresse pas du tout et il faut rabâcher et rabâcher sans cesse (ce que je ne ferais pas s’il n’y avait pas ces contrôles, car soyons honnête, quand il me demande à quoi ça va lui servir, je suis souvent bien en peine de lui répondre malgré une formation de correctrice). Pour les autres matières, on est à peu près dans les clous, même si je trouve le programme très
gentillet et déconnecté de la réalité sur bien des points…
Question organisation / sociabilisation, nous habitons à 300km de son père et c’est le fait d’instruire en famille qui le permet. En fonction des possibilités de télétravail du père de L., il le prend 1 semaine par mois ou 4-5 jours toutes les 3 semaines… Ça minimise les trajets, ça tient compte des emplois du temps des uns et des autres (pas trop d’actualité malheureusement mais les années précédentes j’avais régulièrement des concerts ou des festivals), ça lui permet de passer du temps avec ses copains euréliens.
Avant le corona, L. passait également régulièrement quelques jours chez mes parents. Partout où nous sommes passés, il s’est fait des copains (de tous les âges, comme je le disais, mais aussi des enfants, scolarisés ou non). En général à chaque période de vacances scolaires, son meilleur ami (scolarisé) vient passer une semaine chez nous – la semaine dernière il était là et L. a commencé à lui apprendre le Javascript.
L’été, on a en général des gens qui défilent à la maison pendant quasiment 3 mois, de 8 à 88 ans et L. s’éclate avec tout le monde sans distinction d’âge, de sexe, de nationalité, de couleur de peau, de religion et j’en passe. Et il apprend toujours plein de choses lors de ces échanges.
Pour en revenir à l’instruction proprement dite, depuis début octobre, malheureusement, suite aux annonces de Macron & co, j’ai passé l’essentiel de mon temps à me battre pour sauver cette liberté d’instruction… et ce temps, eh bien je n’en dispose plus pour l’instruction elle-même. Ironique, n’est-ce pas ? Au moins autant que de voir nos politiques s’asseoir sur les valeurs de la république qu’ils déclarent vouloir défendre…
Pour ma part, si cette loi passait, ce que je ne pense pas, je ferais partie des familles qui entreraient en désobéissance civile…