Skip to content

Rozenn, Lunay

Depuis que nous sommes devenus parents, pour la première fois en 1999, puis en 2002, 2005 et 2013, nous avons eu à coeur l’épanouissement de nos 4 enfants. Les accompagner avec amour dans leurs jeunes années et jusqu’à l’âge adulte, au plus proche de leurs capacités et aspirations, cela a été notre guide, notre ambition et notre espoir. Certains se demandent quel monde ils laisseront à leurs enfants. Légitime inquiétude ! D’autres, dont nous sommes, se demandent aussi quels enfants ils laisseront à ce monde et espèrent que ceux-ci auront pu développer et préserver toutes les qualités humaines susceptibles de permettre l’émergence d’un monde meilleur, un monde qu’à titre personnel, nous espérons socialement et écologiquement plus juste.

Cela ne va pas sans questionnements et tâtonnements, c’est un engagement de chaque jour auprès d’eux, nous avançons ensemble dans cette direction, un jour après l’autre.

Nous ne prétendons pas avoir été à tout moment en capacité de réaliser cet accompagnement optimal mais cela a été notre guide. Il a fallu aussi composer, en famille, avec les besoins de chacun, les forces et les limites de notre environnement familial, social et professionnel et des individus, idéalistes et faillibles, que nous sommes en tant que parents.

Ils sont aujourd’hui âgés de 21, 18, 15 et 7 ans et leur chemin vers l’autonomie et l’âge adulte se poursuit. Leur parcours s’est effectué parfois dans et parfois hors l’école. Les ainés sont actuellement étudiant ingénieur en urbanisme 4eme année post bac, artiste et vendeuse en boulangerie, et lycéen découvrant les métiers de la restauration et du service, en seconde dans un lycée hôtelier.

C’est de l’importance de préserver l’ajustement fin à leurs besoins changeants, ce qu’a permis le libre choix du mode d’instruction, que je voudrais témoigner ici. L’Intruction En Famille (IEF) nous a été un outil précieux, complémentaire de l’école, pour nous adapter à différentes reprises à leurs besoins et à leurs situations individuelles.

Nous avons vécu avec chacun d’eux des années de maternage heureux, lorsqu’ils étaient bébés et bambins. Il était alors absolument évident que leur bien-être passait par une grande proximité physique et émotionnelle avec une maman et un papa s’émerveillant chaque jour de les voir grandir et s’ouvrir au monde. Portés par l’amour, par un sens de l’imitation inné et par l’appétit de vivre qui caractérisent tous les petits humains, ils ont appris à parler, marcher, se nourrir, interagir avec leur environnement, fait leurs premières déductions logiques et mathématiques,… sans qu’il soit besoin d’autre chose que d’être là, juste assez proches et soutenants pour que leurs premières expériences soit gratifiantes et encourageantes.

A l’âge où l’école maternelle était prête à leurs ouvrir ses portes, nous avons constaté que des besoins primaient encore que nous, parents, étions à même de satisfaire, besoins physiologiques de base (sommeil, hygiène, alimentation,…), besoin de sécurité et d’affection, besoin d’une attention individualisée à leurs réussites et à leurs rythmes,… Pour faire bref, l’école dite « maternelle » nous paraissait moins « maternante » que ce qui leur était alors nécessaire et que nous pouvions si simplement leur offrir « à domicile ».

L’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans en 2019 nous a interloqués. Evidemment, les enfants ont besoin d’un environnement suffisamment stimulant pour faire les expériences et acquérir les compétences humaines, le langage et tant d’autres, essentielles à la vie en communauté. Si des carences existent, il convient d’apporter aux familles le soutien et le renforcement nécessaire pour étayer leur capacité à prodiguer ces soins. Peut-être, dans certains cas, la scolarisation peut-elle contribuer à cet étayage, lorsque la maitrise de la langue française est limitée au sein de la famille ou de l’environnement proche. Mais rendre l’ »instruction obligatoire » à 3 ans, n’est ce pas déjà méconnaitre que les enfants apprennent et s’instruisent « de fait », parce que telle est leur nature et leur nécessité impérieuse, chaque fois qu’ils y sont prêts, chaque fois que leur élan vital n’est pas contrarié par des injonctions ou des interdits ?

Pour nos enfants, l’entrée à l’école s’est donc faite de façon plus ou moins tardive au regard des standards français actuels. Elle a eu lieu au moment où ils étaient demandeurs et où leur envie de participer à des activités collectives et à développer davantage de relations avec d’autres enfants, les rendait prêts à accepter la séparation à dose croissante. Elle s’est faite de façon progressive, à temps partiel pour ceux qui ont fréquenté la maternelle et avec parfois des pauses (deux ans et demi de retour à l’IEF entre 5 ans et demi et 8 ans pour notre fille née en 2002).

Là aussi, d’autres facteurs ont pu intervenir, au delà de leur demande et de leur maturité, à savoir la composition de la famille (présence et besoins des frères et soeur ainés ou plus jeunes), la réalité de l’offre scolaire (classes plus ou moins chargées…) et le potentiel de l’offre alternative (réseau amical et associatif permettant une vie non scolaire, partagée et soutenante…).

A ce sujet, le projet de loi visant à interdire l’IEF nous parait particulièrement contreproductif dans une optique de lutte contre l’isolement et le repli sur soi qui serait la première marche vers le séparatisme, selon le chef de l’état dans son discours du 2 octobre 2020. Restreindre l’autorisation de pratiquer l’instruction à domicile à des situations médicales bien spécifiques, c’est évidemment limiter le nombre de famille pratiquant l’IEF et, par conséquent, renforcer l’isolement de ces familles. C’est détruire les réseaux amicaux et associatifs qui permettent justement une entrée douce, progressive et joyeuse en société y compris sur les temps dits « scolaires » où l’offre d’activités et de propositions ouvertes à ces enfants est souvent réduite. C’est interdire tous ces contacts formels et informels qui font la richesse de l’Instruction En Famille et en société. Obliger les familles qui pratiquent l’IEF par choix philosophique et pédagogique à entrer en clandestinité, les contraindre à la dissimulation ou à la soumission, c’est brimer l’émergence de leurs projets collectifs et associatifs et cela n’apparait pas très cohérent pour qui s’inquiète de voir tout un chacun s’inscrire dans les règles de la république.

Pour notre plus jeune fille, qui a 7 ans, ce chemin s’est traduit par une première scolarisation toute récente, à la rentrée 2020. Nous sommes heureux et fiers d’avoir permis qu’elle entre en classe alors qu’elle y était prête. Parce que c’était son choix, et le nôtre de l’accompagner dans un nouveau cadre d’apprentissage. Pas sous la contrainte d’une loi inique.

Avant cela, elle a bénéficié d’un cadre d’apprentissage informel, et parfois plus formel, que nous avons voulu aussi riche et souple que possible. Dans une grande proximité avec ses parents et sa famille, elle a participé à des activités variées, des sorties accompagnées, des activités dites extra-scolaires plus régulières, des jeux libres et interactions avec de nombreux enfants, jeunes et adultes de tous âges et toutes conditions.

Elle a eu également accès à de nombreux supports d’apprentissage inspirés de différentes pédagogies (Montessori, Freinet, Waldorf,…), approches méconnues de l’école publique de secteur (dont nous connaissons les richesses pour en avoir bénéficié, en tant qu’enfant scolarisée en primaire dans une école Freinet publique, puis en tant qu’apprentis dans le cadre d’un BPREA).

Aujourd’hui, et jusqu’à nouvel ordre, elle apprécie la stimulation et l’émulation que favorisent pour elle le cadre de la classe et la médiation d’une enseignante. Elle est entrée dans la lecture, l’écriture et les usages mathématiques avec un appétit renouvelé. Sans doute aurait-elle appris autrement, à son rythme, ce qu’elle acquiert en partie en classe aujourd’hui, si nous avions su mobiliser d’autres moyens et multiplier le temps que nous pouvions consacrer à l’organisation de sa vie en IEF. Mais nous ne pouvions pas non plus ignorer sa demande et son besoin grandissant de vivre avec ses pairs. Ce qui est rendu difficile dans notre cas, par les contraintes de notre métier d’agriculteurs, notre situation géographique sans voisinage proche et sa situation d’enfant un peu « unique » du fait de l’écart d’âge important avec ses frères et soeurs.

A l’école, elle découvre aussi, et nous redécouvrons, des contraintes nouvelles, induites parfois par le collectif qu’est la classe et le nombre d’élèves accueillis (20 élèves dans sa classe, ce qui est à la fois correct selon les normes actuelles et encore beaucoup si l’on veut prêter une attention personnalisée à chacun !), souvent induites aussi par le confort des adultes encadrants ou par des usages et des habitudes non questionnées : non-choix des activités et des sujets étudiés, durée des activités et des pauses, obligation de se vêtir dans la cour selon le sentiment de l’adulte plutôt que selon le ressenti de l’enfant, habituation aux brutalités entre enfants, parfois tolérées comme une fatalité « normale » à réguler par la punition, quand on aimerait tellement que la socialisation par l’école passe davantage par l’apprentissage de la gestion non violente des conflits et des différends.

Nous continuons de rêver une école publique, accessible à tous et librement choisie, une école qui soutienne l’enfant acteur et moteur de ses apprentissages, relais complémentaire de la famille ou débute et se complète nombre d’acquisitions, capable de soutenir la motivation et l’appétit de découverte, mais pas de les forcer ou de les restreindre selon un planning établi par l’institution, consciente, entre autre, que l’imitation et la reproduction sont chez l’enfant comme chez l’adulte des canaux d’apprentissage essentiels, plutôt que stigmatisant les « copieurs » et la « triche », consciente que l’évaluation par la note, telle qu’elle est le plus souvent pratiquée, bride et stigmatise plutôt qu’elle ne favorise l’estime de soi, condition fragile mais impérative d’un développement harmonieux de l’individu et de sa contribution active et saine à la vie en société, loin de tout séparatisme ou endoctrinement.

Nous voulons encore croire qu’ »Apprendre peut être un plaisir » (cf Télérama 3685 du 29/08/2020), à l’école comme en famille, si on favorise des approches éloignant « peur de l’échec, de la note, de se tromper« …

Si demain, notre fille souhaite revenir à un mode d’instruction plus souple, moins formaté, en famille et en société, si elle en exprime la volonté parce que le cadre scolaire ne répond pas suffisamment à ses besoins ou que ces contraintes lui nuisent manifestement, nous souhaitons de tout coeur que cela soit toujours possible, par la reconnaissance du droit au libre choix du mode d’instruction comme un droit constitutionnel et fondamental.

Si, aujourd’hui ou demain, des enfants souffrent ou s’ennuient à l’école, si des familles se sentent de faire ce choix courageux et singulier d’une instruction hors l’école… Que la liberté et le choix soient la règle, et la contrainte, l’exception !