Sophie, Caen

Après avoir téléphoné au secrétariat de notre députée à l’assemblée nationale, pour dire mon soutien aux parents pratiquant l’IEF, et avoir dit mon désaccord concernant sa suppression, voilà le témoignage écrit que, à sa demande, j’ai rédigé.


Madame,

Ayant appris le projet de loi consistant à supprimer la liberté d’instruire son enfant à domicile, je tiens à apporter mon témoignage, en temps que mère et citoyenne, mais également en temps que médecin : je suis en effet médecin généraliste depuis 2014, installée à Caen cette année dans un cabinet libéral, ayant auparavant travaillé dans les PMI du Calvados et de l’Essonne, je suis également mère de deux jeunes enfants, scolarisés dans une école publique en maternelle et CE1.

Sur le plan personnel, j’ai eu la chance de rencontrer des institutrices aidantes, pour mon ainé qui a été diagnostiqué d’un déficit attentionnel (TDA) et d’un haut potentiel intellectuel (HPI), deux particularités de fonctionnement (je n’aime pas employer le terme pathologies dans ce contexte) souvent associées, et qui peuvent amener à choisir de descolariser l’enfant. Nous avons également dû gérer un harcèlement par un autre enfant, ce qui a également pu être bien géré par l’institutrice. Si je m’estime chanceuse, ce n’est pas uniquement parce que ces institutrices ont su gérer des situations pas toujours faciles, mais aussi parce que les effectifs scolaires le leur ont permis : l’an dernier mon fils était dans une classe de 15, cette année ils sont 21. Ces effectifs sont très rares en école primaire, on déplore plus souvent des classes à 30-32 élèves. Comment gérer les particularités de chacun avec des classes qui débordent ? Le projet d’interdire l’instruction en famille ne risque-t-il pas d’engorger encore plus un système scolaire déjà « plein » ? Ou ce projet est-il accompagné de promesses (seraient-elles tenues ? ) de renforcer les effectifs de professeurs de l’éducation nationale, afin que ceux-ci gèrent des classes à taille humaine, mais également soient remplacés en cas de maladie ?

« On » déplore une augmentation récente des projets d’instruction en famille. Qui le déplore, déjà ? Les raisons de cette augmentation sont assez faciles à deviner, probablement en partie : le confinement récent a traumatisé les familles. Certains ont dû s’adapter en urgence, et se sont peut-être rendus compte que le temps passé auprès de leurs enfants était bénéfique pour tous. D’autres souhaitent justement ne plus avoir à s’adapter au pied levé, et ne plus dépendre d’un nouveau risque de confinement. D’autres encore s’inquiètent d’avoir vu leurs enfants apprendre à la maison mieux qu’à l’école, et ne souhaitent pas revenir en arrière… Doit-on déplorer de voir des familles se souder, des enfants passer du temps avec des adultes qui s’occupent de leur éducation et de leur instruction, tout en laissant le temps aux professeurs d’enseigner à ceux qui n’ont pas la possibilité de recevoir cette instruction à la maison ?

Professionnellement, le projet de n’accorder cette liberté que sous condition médicale m’interroge : quelles seraient ces dérogations ? Pathologies précises, ou liberté laissée au médecin de famille d’évaluer le besoin de l’enfant ? Devra-t-on catégoriser des enfants au fonctionnement particulier (TDAH, HPI, DYS en tous genre), les jeunes souffrant d’anxiété scolaire, de phobie scolaire, les victimes de harcèlement… Devra-t-on rédiger des demandes de prise en charge à la MDPH (maison du HANDICAP !) pour stigmatiser encore plus ces enfants, afin de leur permettre de vivre une scolarité adaptée et sereine ? Parfois, une descolarisation s’impose pour le bien-être de l’enfant. Doit-on médicaliser le bien-être ? A-t-on tellement d’effectif médical (pour les évaluations prévues de ces enfants), tellement d’AVS (s’il faut absolument scolariser à l’éducation nationale tous les enfants aux besoins particuliers), tellement de professeurs (afin de permettre de suivre chacun de ces enfants et de s’adapter à eux, à leur vitesse d’apprentissage) qu’on puisse interdire aux parents volontaires de se charger de ce travail ?

Les énormes avancées de ces dernières années en neuroscience nous ont appris la nécessité de s’adapter à l’enfant qui est unique, à son développement qui ne suit pas une ligne droite identique pour chaque enfant. L’instruction en famille n’est pas accessible à tous et va rester marginale, c’est une chose certaine. Mais elle tend vers un idéal : l’enfant est instruit par un adulte qui s’adapte à ses besoins, selon un cadre donné par des professeurs diplômés (l’IEF est loin d’être une instruction en « roue libre »), et est réversible à tout moment si l’enfant le souhaite…

Les enfants instruits en famille que j’ai pu suivre sont dans ma patientèle des enfants calmes, sereins (on le voit à leur comportement quand il s’agit de « subir » un vaccin par exemple), bien suivis sur le plan médical (ce qui sous-entend des parents attentifs). Ce sont nécessairement des enfants de parents eux-même instruits (on ne s’improvise pas professeur). Au niveau du comportement, je n’ai pas à m’en plaindre. Ces enfants sont pour ceux que je connais loin d’être isolés, comme on pourrait le craindre : les familles pratiquant l’IEF organisent ensemble des sorties éducatives. Ces enfants, qui assimilent un programme éducatif beaucoup plus rapidement qu’à l’école (cela tombe sous le sens, avec un professeur particulier ! ) ont le temps de se consacrer à leur relations sociales (par ces sorties évoquées plus tôt) ainsi qu’à des activités sportives ou musicales, qui développent tous les domaines de leur intelligence. Si bien sûr comme dans tout échantillon social il y a des déviances, je ne les connais ni personnellement, ni professionnellement. Peut-on être sûr que l’école empêcherait à coup sûr toute déviance ?

Merci de m’avoir accordé votre attention.

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